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MAERA FLAU
1 mai 2018

NOUVELLE: "LE DERNIER TRAJET..."

Le dernier trajet...


Passer les dimanches à la campagne chez les grands-parents maternels, les enfants aimaient ça car ils y faisaient ce qu'ils voulaient. Surtout en comparaison avec la grand-mère paternelle qui leur paraissait sévère et chez qui on n'osait pas trop bouger de la chaise. Alors, quand il s'agissait d'aller "chez pépé mémé" les enfants se défoulaient. Après avoir dégusté de délicieuses tartines au miel naturel produit par le grand-père, les enfants, petits et grands, allaient jouer à l'orée du bois, sautaient sur les talus, grimpaient aux arbres et construisaient des cabanes. Et au début de l'automne, il y avait, en prime, la cueillette des cèpes et des girolles. C'est au décours d'une de ces recherches aux champignons que les enfants, une dizaine en tout car tous les cousins étaient présents, firent une rencontre inattendue.

Ils s'étaient éloignés un peu plus que d'habitude jusqu'à proximité d'une petite route. Soudain, dans les bois où résonnaient les cris joyeux des enfants et les chants des oiseaux, on perçut comme des pleurs d'un bébé. Les enfants se dirigèrent vers l'endroit d'où provenaient ces pleurs. Et, tout-à-coup, ils aperçurent un chiot attaché à un arbre! Ils furent d'abord émerveillés de voir ce chiot, le détachèrent et le rassurèrent. Mais ils furent vite écoeurés par la lâcheté de celui qui avait osé faire ça, condamnant l'animal à mourir si un promeneur ou les enfants n'étaient pas passés par là. Les enfants se chamaillèrent car chacun voulait tenir le chiot dans ses bras. Finalement, c'est le plus grand qui prit le petit chien et tous regagnèrent à la hâte la maison des grands-parents.

Chacun des enfants expliqua à sa manière la découverte de ce petit chien, lâchement abandonné et attaché à un arbre au milieu des bois. Les grands-parents décidèrent de le garder et le grand-père le nomma "Coco-Du".
"Il sera bien ici! en liberté, il pourra aller où il veut".
"Et nous, on pourra le voir le Dimanche et pendant les vacances!" s'accordèrent unanimement les enfants.
C'est ainsi que Coco-Du grandit à la campagne, recevant régulièrement la visite des enfants qui l'avaient trouvé, chacun se l'appropriant un peu à lui. En particulier la jeune adolescente qui aimait particulièrement les animaux. Coco-Du se portait bien et accueillait toujours joyeusement les enfants. Désormais, il accompagnait avec joie et vivacité les enfants dans les bois à la cueillette des champignons, et aux balades à travers champs.

Une fois, on peut même dire qu'il sauva la grand-mère de l'embarras où elle s'était enlisée. En effet, lors d'une promenade en famille près de la rivière, la grand-mère avait voulut prendre un raccourci en passant par la digue. pourtant habituée des lieux depuis toujours puisqu'elle n'avait jamais quitté son village, il lui avait suffit d'un faux-pas pour tomber dans un trou de vase. Elle n'arrivait plus à s'en sortir seule, car plus elle bougeait, plus elle s'enfonçait. C'est alors que le chien qui faisait des allers-retours d'un groupe à l'autre aperçut sa maîtresse en difficulté. Il se précipita vers le reste de la famille en jappant avec insistance. Le groupe finit par suivre le chien et aperçut la grand-mère enlisée dans la vase jusqu'aux genoux, continuant à s'enfoncer au moindre mouvement. Ce ne fut pas simple de la sortir de là mais au bout d'un long moment la grand-mère put enfin être délivrée. Seule, elle n'aurait pas pu s'en sortir, et l'intervention de Coco-Du pour avertir les autres promeneurs lui avait été salutaire.

Les saisons s'écoulèrent, nous étions au milieu des années soixante dix; Coco-Du avait atteint sa maturité, les enfants avaient grandi, et les grands-parents avaient vieilli.
Le groupe des cousins avaient diminué de moitié car les plus grands n'accompagnaient plus leurs parents aux visites hebdomadaires chez les grands-parents. Parmi ceux qui venaient régulièrement, il y avait l'adolescente qui était très attachée à Coco-Du et passait beaucoup de temps avec lui. Elle était attendrie par le regard de ce chien. Regard vif quand il s'agissait de jouer, regard séducteur pour quémander un bout de gâteau, et quand ça ne marchait pas, il faisait son regard triste en penchant légèrement la tête. Comment résister à un tel regard? Et aussitôt le bout de gâteau reçu, on retrouvait le regard joyeux et malicieux.

Lors d'un été ensoleillé, l'insouciance de la jeunesse fut perturbée par un évènement familial. La santé de la grand-mère déclina brusquement, et à la fin de l'été, l'aïeule n'était plus de ce monde. La perte de sa femme déboussola complètement le grand-père, jusque là robuste et dynamique. Comment continuer sans l'autre? Leurs chamailleries incessantes quotidiennes ne diminuaient en rien leur attachement mutuel qui durait depuis cinquante ans. La santé du grand-père périclita alors rapidement à son tour et il mourut trois mois après sa femme. On peut dire qu'il mourut de chagrin.

Les diverses démarches réglées, restait l'épineuse question du chien. Qui prendrait Coco-Du? La jeune fille et ses frères voulaient le garder. Mais à cette période leurs parents avaient déjà une petite chienne, Sophie, et ne voulaient pas assumer un deuxième chien. "Non, pas question d'avoir un deuxième chien, on ne peut pas prendre Coco-Du. Et avec Sophie ce serait vraiment trop compliqué". Les enfants pensaient que c'était une fausse excuse, car il suffisait de faire stériliser la chienne ou le chien pour être tranquille. Et même si Coco-Du était habitué à la campagne, il s'acclimaterait en zone semi-urbaine d'autant plus qu'il y avait un jardin. Mais, encore à cette époque, les avis des enfants ne pesaient pas lourd. Par contre, un des oncles n'avait pas de chien et, lui et sa famille, vivaient en maison avec jardin. Tout le monde insista pour qu'ils prennent le chien, en vain.

Les adultes décidèrent alors que, du fait que personne ne pouvait (ou plutôt ne voulait) recueillir le chien des grands-parents, celui-ci serait euthanasié, "piqué" comme ils disaient. Décision injuste, impitoyable, inacceptable pour l'adolescente pour qui ce chien était si familier. Elle connaissait sa gentillesse, sa fidélité, sa loyauté. Loyauté, c'est un nom qui semble adapté surtout au monde animal, et peu aux humains. La jeune fille savait qu'il était impossible de contourner la décision des parents. Alors, elle fit ce qu'elle pouvait seulement faire: elle demanda à accompagner Coco-Du chez le vétérinaire. Pour être là pour son dernier voyage. Pour le rassurer. Pour l'entourer. Pour lui chuchoter qu'elle l'aimait. Pour lui transmettre toute son affection. Malgré cette présence chaleureuse, le pauvre chien tremblait dans la voiture, il avait deviné que la fin de son aventure se trouvait au bout de ce trajet.

La jeune fille ressentit une immense déception, voire de la colère, mais surtout l'impression d'un grand gâchis, quand, quelques semaines à peine après avoir conduit Coco-Du pour son dernier trajet, l'oncle qui disait ne pas pouvoir prendre le chien de ses parents, prit finalement un petit chien...


Le dernier trajet

Sur le siège arrière de la voiture,
Assis, un peu voûté, mais sage,
Le chien tremble.
Il devine que la fin de l'aventure
Est au bout du voyage
Que l'on fait ensemble.
Je suis là et je l'entoure
Pour lui donner mille caresses
Pour lui donner toute la tendresse
Pour qu'il parte entouré d'amour.
C'est son dernier trajet et il le sait
Et je sais qu'il le sait...
Et des dizaines d'années plus tard,
Je me souviens encore de son regard...

 

Extraits de: "Les larmes d'un Papillon... et quelques autres nouvelles" (Maera Flau)
Disponible sur le site MONBEAULIVRE

https://publish.monbeaulivre.fr

http://maeraflau.canalblog.com

 

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